Chaque mois, l’équipe de Guides Pyrénées Sensations vous partage son coup de cœur. Pour ce premier mois de 2024, notre cœur d’aventurier a craqué pour une expédition en spéléologie au Kirghizistan réalisée fin 2023, par l’association française Regard sur l’Aventure.
Une expédition nationale au Kirghizistan
Organisée par l’association Regard sur l’Aventure, cette expédition qui s’est déroulée du 31 octobre au 21 novembre 2023, avait pour but d’explorer et documenter le glacier Inylchek, situé à l’est du Kirghizistan. Il se forme au pied du Khan Tengri dont les 7010 mètres en font le troisième plus haut sommet du pays, après le Jengish Chokusu et le pic Lénine (hauts respectivement de 7439 m et 7134 m). Le Khan Tengri représente le symbole de la triple frontière partagée avec le Kazakhstan et la Chine et fait partie des emblèmes du Tian Shan (“montagnes célestes”), une chaîne de montagnes étalée sur 2500 kilomètres.
C’est la 2ème expédition d’exploration organisée par l’association sur ce secteur, la 1ère s’étant déroulée en 2019. Avec le statut d’expédition nationale de la Fédération Française de Spéléologie, l’équipe composée de 11 bénévoles de l’association s’est rendue en terre kirghize, sur l’un des plus longs glaciers non polaires au monde, avoisinant les 60 km. Celui-ci se compose de deux immenses branches se développant dans deux vallées parallèles Nord/Sud.
Parmi les bénévoles présents, Yann Auffret, spéléologue basé en Ariège et membre de l’association Guides Pyrénées Sensations, nous a relaté cette expédition :
Il faut compter au minimum 3 jours de voyage pour atteindre le front du glacier à 2 900 mètres d’altitude, lieu du premier camp. Une journée d’avion depuis la France pour Bishkek, la capitale du Kirghizistan ; une deuxième journée de bus jusqu’à Karakol (dernière ville avant la chaîne de montagnes du Tian Shan). Une ultime journée essentiellement en KamAZ (grand véhicule tout terrain 6×6) pour arriver jusqu’au début du glacier. L’accès au Tian Shan est régularisé par deux postes de contrôle militarisés.
Ensuite, une journée supplémentaire de trek est nécessaire pour se rendre au camp d’altitude situé à 3 400 mètres, proche de la confluence entre les branches Nord et Sud du glacier. L’équipe de bénévoles était renforcée par 4 kirghizes en charge de la logistique du camp de base, de la cuisine et autres tâches de la vie quotidienne. Une solide équipe d’une vingtaine de porteurs, était également présente pour le trek aller et retour entre le front du glacier et le camp d’altitude, afin d’acheminer tout le matériel nécessaire pour le bon déroulement de cette expédition.
Une fois posés et bien acclimatés, les spéléologues ont pu profiter d’une dizaine de jours pour explorer de multiples cavités glaciaires et notamment des moulins (gouffres verticaux qui s’ouvrent sur le glacier). Lors de leurs explorations, ils ont notamment relevé la position des cavités et topographié ces dernières, afin d’étoffer les résultats déjà obtenus en 2019 et de les confronter. Il a fallu beaucoup de passion et d’énergie pour enchaîner les longues journées de prospection et d’exploration des cavités, entrecoupées par des nuits en tente jusqu’à -15°C, ce qui était plutôt confortable pour la saison nous confie Yann.
Le mystère du lac Merzbacher
Chaque année, à la fin du printemps, le lac Merzbacher contenant près de 250 millions de mètres cubes d’eau se forme à la confluence des branches Nord et Sud, environ 18 kilomètres en amont du front du glacier. Et chaque année, au milieu de l’été, cet immense volume d’eau est évacué vers l’aval et se déverse dans la longue vallée kirghize d’Inylchek. En moins de 48 heures le lac se vidange, ramenant au sol les icebergs qui flottent à sa surface. Ses eaux traversent la frontière en direction de la Chine et de la rivière Aksou, avant de finir dans le fleuve endoréique du Tarim.
Ce phénomène, connu sous le terme de GLOF (Glacial Lake Outburst Flood), est déjà observé de façon ponctuelle dans les régions glaciaires qui voient leur neige fondre, et créer ainsi de gigantesques poches d’eau dont les barrières naturelles finissent par céder. Le déversement du lac Merzbacher, à plus de 1 000 m³/s, fut découvert en 1903 par le scientifique allemand Gottfried Merzbacher et ne peut être attribué ni au réchauffement climatique ni au hasard, au vu de sa récurrence annuelle depuis plus d’un siècle. Alors quelle explication pour ce lac ? Soulèvement d’une partie du glacier sous la forte pression du remplissage du lac ? Ou bien ouverture d’un clapet ? Ou encore amorçage d’un siphonnage à partir d’un certain niveau d’eau ? C’est ce qui a attiré les membres de l’expédition, rêvant de découvrir un conduit sous-glaciaire long de plusieurs kilomètres.
Les résultats de cette expédition
Au total, 21 cavités glaciaires ont pu être éclairées par les frontales des explorateurs, pour un total de 1 330 mètres de développement topographié, la plupart étant très verticales dans leur profil. Seulement quatre moulins ont offert plus de 100 mètres de développement, avec un maximum de 164 mètres. La majorité des explorations se sont terminées sur un petit siphon (conduit noyé) mais également sur des passages impénétrables.
Yann nous précise que le créneau pour explorer les entrailles d’un glacier est relativement court : trop tôt dans la saison, les températures sont trop élevées et l’eau de fonte peut rendre la progression impossible. Et si le froid s’installe sérieusement, le glacier peut rapidement refermer ses entrailles. La bascule peut aller très vite et il n’est donc pas simple d’être présent au moment parfait, surtout loin de la maison !
Quelques constats ont également pu être faits concernant le comportement général du glacier, en comparant les positions GPS de certains moulins déjà connus en 2019 avec 2023. Comme tous les glaciers, le glacier Inylchek est en mouvement : il est soumis aux forces physiques des neiges du Khan Tengri et des sommets voisins qui, par leurs poids, poussent vers le bas les neiges déjà existantes. Les pressions exercées par ces accumulations transforment la neige en glace et tout cela pousse le glacier vers l’aval.
En quatre ans, les spéléologues ont pu constater des changements de position géographique de certaines entrées remarquables au front du glacier (sa partie la plus basse), qui se sont décalées de 60 à 70 mètres en aval. Ceci peut s’expliquer par la conjugaison de l’avancement général du glacier mais surtout par la fonte superficielle ayant raccourci les conduits sub-glaciaires. Les études réalisées entre 2006 et 2010 par des glaciologues ont montré un avancement de plus d’un mètre par an au front et plus de cent mètres par an à l’extrême amont.
Au final, cette expédition apporte une nouvelle contribution permettant de documenter un peu plus la connaissance du glacier Inylchek. Malgré que l’équipe n’ait pas pu résoudre le mystère du lac Merzbacher, vieux de plus d’un siècle, elle aura vécu une nouvelle aventure rafraîchissante, remplie de belles découvertes dans un cadre somptueux, mais avant tout une aventure humaine franco-kirghize.
En 2022, certains membres de l’association se sont rendus au Kirghizistan avec le youtubeur SEB, afin de réaliser un documentaire sur le glacier Inylchek et le phénomène de GLOF du lac Merzbacher. Ce film nous offre un moyen visuel, avec de belles images, pour s’immerger d’avantage dans l’univers de ces expéditions en terre kirghize.
Ce qui nous a le plus plu ?
L’immense passion des bénévoles de cette association ! Ils réalisent des expéditions d’exploration et d’ouverture en spéléo & canyon à travers le monde. Ils documentent du mieux possible leurs découvertes et ont à cœur de créer du lien avec le milieu scientifique, même si ce dernier n’est pas présent physiquement sur le terrain lors d’un projet.
Malgré l’aide de multiples partenaires financiers et matériels, ces passionnés de spéléologie et canyonisme réalisent l’ensemble de leurs expéditions avec un apport financier principalement personnel. Dans le cadre des expéditions au Kirghizistan, le but était de tenter de percer le mystère du lac, pour mieux comprendre ce phénomène de GLOF qui interroge encore les scientifiques. Mais c’était également pour l’équipe l’occasion de partager des beaux moments privilégiés dans un endroit exceptionnel afin de nourrir leur passion.